Bruxelles puis Jersey et Guernesey, déjà ! Exilé politique s’il en fut, Victor Hugo s’est dépeint, loin de la France, comme un être mutilé. Me reviennent ici en mémoire, ces quelques vers du futur sénateur de la Seine entendus à Londres :
« Le jour où ce banni sortit de France, plein d’amour et d’angoisse au moment de quitter cette mère, il s’arrêta longtemps sur la limite amère. Il voyait, de sa course à venir, déjà las, qu’une ombre, et qu’il allait entrer au sourd royaume où l’homme qui s’en va devient fantôme. »
Être exilé, c’est être un « spectre de l’absent », c’est vivre dans la douleur d’un éloignement provoqué. À le rappeler, simplement, l’on constate immédiatement que ce n’est que par un abus de langage que la presse économique du 8 août dernier affirme – à partir des chiffres rendus publics par Christian Eckert, secrétaire d’État au Budget – que la France devrait faire face « à une inquiétante accélération des départs et des exilés fiscaux » en 2014.
Le nombre de ceux dont le revenu fiscal de référence est supérieur à 10.000 euros et qui sont domiciliés fiscalement hors de France aurait ainsi augmenté de 40% entre 2012 et 2013.
La France est attractive
Mais qu’est-ce que 40% ? On sait que les statistiques sont le superlatif du mensonge car ces 40% ne représentent en fin de compte que 1.075 contribuables à rapprocher des 37.119.219 de foyers fiscaux existants à la même date. Ce dernier étant lui-même en augmentation de plus de 400.000 par rapport à 2012.
Quant au nombre des non-résidents fiscaux en France – c’est-à-dire ceux qui, n’étant pas résidents fiscaux en France, y paient néanmoins des impôts sur la base des seuls biens qu’ils y possèdent – leur nombre a augmenté durant la même période de 5% pour s’établir à 210.000.
Ils attestent ainsi, concrètement, de l’attractivité de la France et de ce qu’elle demeure bien l’un des premier pays d’investissement en Europe en 2015 – le troisième derrière le Royaume Uni et l’Allemagne.
Qu’ils y domicilient leurs sièges sociaux ou qu’ils y envoient des cadres expatriés, les étrangers reconnaissent en effet à la France sa capacité d’innovation, sa capacité à former et à attirer des talents ou son esprit d’entreprise ainsi que la qualité de ses infrastructures. Ce seraient donc ainsi les étrangers qui parleraient le mieux de la France !
Pas d’appauvrissement majeur pour l’État
Dans ces conditions, le départ de quelques centaines de contribuables ne peut être la source d’aucun appauvrissement majeur pour l’État.
Tout au plus le fruit d’un égoïsme de la part de ceux qui oublient alors ce qu’ils doivent à leur « mère », comme dirait Victor Hugo. Leur éducation, leur culture, leur système de soin et, plus certainement, les valeurs qui leur ont été transmises : la solidarité et la fraternité, dont l’impôt sur le revenu est, depuis 1914, l’expression la plus symbolique.
Défendant l’idée selon laquelle, depuis 1789, l’impôt progressif fait partie des valeurs fondatrices de la République, Jean Jaurès s’inscrit ainsi aux côtés de de Joseph Caillaux le 24 octobre 1913 en relevant « qu’il serait humiliant et flétrissant pour la France qu’à l’heure des crises nationales, quand on allègue le péril de la patrie, la bourgeoisie française refuse les sacrifices qu’a consentis la bourgeoisie d’Angleterre et la bourgeoisie d’Allemagne ».
Et bien si.
Présenter cette image de la France est irresponsable
Les motifs de cette fuite demeurent, quant à eux, bien incertains. Je sais pour les avoirs gérés pendant deux ans comme ministre déléguée aux Français de l’étranger, les polémiques dont la droite est capable en cette matière.
Je me souviens ainsi des propos de Philippe Marini en novembre 2013 considérant que ces départs – déjà – attestaient « d’un rejet de la France ».
Je me souviens également du président UMP de la commission des finances, Gilles Carrez, réclamant au gouvernement de Jean-Marc Ayrault en novembre 2012 « la vérité des chiffres sur l’exil fiscal ».
Je me souviens enfin de la commission d’enquête, rien que cela, portée par Luc Chatel en novembre 2014 sur « l’exil des forces vives » de la France !
Que d’outrances pour une communauté d’expatriés dont le revenu fiscal moyen était de 39.000 euros en 2011 et dont les motivations sont sans rapport avec celles que la droite lui prête. Chercheraient-ils à lui reprocher d’avoir voté à 47% pour François Hollande en 2012 alors que ce vote lui semblait acquis ? Il est vrai que le pic des départs avait alors été atteint en 2008 avec 29.000 Français, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Il est insupportable que l’opposition revienne, chaque année et pour des raisons politiciennes, sur cette antienne qui ferait de la France un enfer fiscal, et ce depuis l’élection de François Hollande, en mai 2012.
Il est irresponsable de présenter cette image de la France, à l’heure où des investissements venant de l’étranger sont nécessaires.
Des départs pour des raisons professionnelles
Mais quid des motifs de l’expatriation eux-mêmes ? Pour avoir demandé à la direction des Français de l’étranger du Quai d’Orsay, fin 2012, de réaliser une enquête sur 9.000 expatriés, j’ai pu mettre en évidence que dans 42% des cas, ils partent pour des raisons professionnelles ou à la demande de leur entreprise, dans 27% des cas pour des raisons familiales et 5% pour leur retraite.
Quant aux pays de domiciliation, ils ne sont pas ces paradis fiscaux que l’on imagine, ces territoires sans moral où le Monsieur Zéro de Paul Morand finit par se dissoudre.
À suivre le rapport pour 2013 de la Direction générale des finances publiques, les régions dans lesquelles le nombre d’inscrits augmente plus rapidement que l’évolution constatée au niveau mondial sont l‘Afrique du Nord, (+4%) et l’Amérique du Nord (+4,4%), cette dernière accueillant ce faisant la deuxième communauté française expatriée avec 13% de nos compatriotes.
Quant aux pays d’Europe, hors Union européenne, les progressions les plus importantes (+11%), ne sont pas dans les paradis fiscaux. Elles se font en Asie centrale et … en Russie (+6%).
Les expatriés sont une chance
Pour rencontrer ces expatriés dans mes déplacements avec mes collègues parlementaires des Français établis hors de France, je sais leur dynamisme, leur curiosité. C’est cette chance qu’ils représentent pour nous, pour nos investissements et notre attractivité qui m’amènera d’ailleurs le 5 octobre prochain à accueillir le président de la République dans un colloque consacré à ces Français de l’étranger, à cet « atout pour la France ».
Nous le leur devons. Loin des caricatures, ces expatriés attestent par eux même de ce que nous sommes une nation ouverte, reconnue, appréciée. Nos valeurs nous y poussent. Assumons-les et ne laissons pas certains d’entre eux être pris pour exemple alors qu’ils ne sont même pas un symptôme.
Alors exilé à Bruxelles, Victor Hugo écrivit en 1852 :
« Vie pauvre, exil, mais liberté. Mal logé, mal couché, mal nourri. Qu’importe que le corps soit à l’étroit pourvu que l’esprit soit au large ! »
Force est de constater qu’un siècle et demi après, ces quelques Français que rien ne pousse à « s’exiler » dans cette même ville – si ce n’est par égoïsme patrimonial – ont une idée bien différente de leur situation :