«Petit cachottier, tu vas encore te faire des amis !». Attablé dans un café parisien, Bernard Houdin reçoit un SMS d’un militaire français qui a participé au bombardement de la résidence de Laurent Gbagbo, le 11 avril, à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Le pilote vient de recevoir son dernier ouvrage. A l’époque, Houdin est conseiller du président ivoirien, Laurent Gbagbo. Il a quitté la métropole ivoirienne, le 27 mars, juste avant le début de la conquête des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, les anciens rebelles pro Ouattara) pour monter une structure de communication en France. Objectif : donner une autre lecture de la crise aux médias français jugés pro-ouattariste.
Durant cette crise post-électorale, il fera le tour des médias pour défendre la ligne du régime et jouera de ses relations au sein de la Défense pour essayer d’empêcher l’issue fatale. Il n’a plus jamais remis les pieds en Côte d’Ivoire, mais n’a jamais été aussi actif. Chaque semaine, il continue à faire le tour des rédactions et des associations de droits de l’Homme pour dénoncer les dérives du nouveau pouvoir. Dans le plus grand secret, il a écrit, ces derniers mois, «Les Ouattara. Une imposture ivoirienne», un livre à charge contre le couple présidentiel ivoirien.
Jeudi, il était à la prison de Scheveningen, dans la banlieue de La Haye, pour remettre un exemplaire dédicacé à Laurent Gbagbo, incarcéré dans l’attente de son procès pour «crimes de guerre», qui s’ouvrira le 10 novembre prochain devant la Cour pénale internationale (CPI). «L’Histoire rendra raison à Gbagbo, martèle depuis des années Bernard Houdin. Le nœud de la crise est en France».
Dans son téléphone portable, quelque 1700 contacts en Afrique, en Europe et en Amérique qu’il exploite tout au long de l’année. Il est allé plaider la cause du Président déchu dans les pays nordiques (Suède, Finlande, Danemark), en Russie, au Canada, au Congrès américain et dans plusieurs pays africains dont l’Afrique du sud. Aujourd’hui retraité, le porte parole de Gbagbo, franco-ivoirien, livre son témoignage de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire.
Né en juillet 1949 à Paris, il est arrivé en bateau à Abidjan à l’époque de la coloniale, le jour de son premier anniversaire. Son père entrepreneur, Henri, a été recruté pour construire des les premiers ponts (De Gaulle, Houphouët-Boigny) et l’Hotel Ivoire dans la métropole lagunaire. Jeune élève à l’école primaire de la Régie Abidjan Niger (RAN), il apprend, comme ses camarades ivoiriens, l’histoire de l’Afrique occidentale française. Les autochtones y sont qualifiés dans les manuels de « primitifs », « mauvaises gens » ou « males gens ». Il poursuit ensuite au lycée classique d’Abidjan et aura, comme Gbagbo, le même professeur de latin-grec, Mr Lefèvre.
Lorsque son père revient en France en 1963, Bernard Houdin se retrouve au Lycée Carnot à Paris. C’est le début du militantisme politique. Il adhère à Occident, un mouvement politique nationaliste fondé en 1964. C’est l’époque des blousons noirs et des affrontements avec les groupes d’extrême gauche. En mai 1968, Houdin est de l’autre côté des barricades, protecteur du pouvoir gaulliste. Pourtant, le jeune étudiant a une image très contrastée du Général, libérateur de la France mais aussi « traite » pour les Français d’Algérie. Son grand-père maternel est un ancien légionnaire de Sidi Bel Abbès, près d’Oran en Algérie. Une partie de sa famille quittera l’Algérie en 1962, laissant tout son passé derrière elle. Il collera néanmoins des affiches pour De Gaulle opposé à Mitterrand, en 1965. «J’étais surtout anti-communiste et nous avions peur de la prise de pouvoir de l’extrême gauche», confie Bernard Houdin. Quelques mois après mai 1968, le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin dissout le mouvement Occident et plusieurs groupes d’extrême gauche. Les nationalistes créent alors un autre mouvement, l’Ordre nouveau.
Bernard Houdin a intégré Sciences po à Paris et adhéré au GUD dont il deviendra secrétaire général en 1973. Il y côtoie des étudiants comme Marcel Ceccaldi, qui deviendra l’avocat de Jean-Marie Le Pen. Une époque où les jeunes militants défendent bec et ongles le campus d’Assas, parfois aux côtés des durs du Betar, mouvement de jeunesse juif radical, contre leurs pairs d’extrême gauche. Un jour, à la sortie du métro parisien, Houdin est attendu par ses adversaires. Tabassage en règle dont il porte encore les séquelles, un doigt tordu qu’il exhibe avant de sourire. « On était des provocateurs », reconnaît aujourd’hui l’ex militant.
Toute cette jeunesse nationaliste se cherche un leader politique qu’elle croit trouver – nombre d’entre eux déchanteront – en Jean-Marie Le Pen, qui fonde le Front national en 1970. Houdin participe au congrès fondateur, porte de Bagnolet. Il se présente même contre Georges Marchais, cette année là, à Villejuif (*). Le soir du dépouillement, le candidat est présent à la mairie de Villejuif. Il fait plus de voix que Marchais dans le bureau du Kremlin Bicêtre. Un compagnon du communiste le nargue : « Tiens, Hitler lève la tête ! ». Réponse du tac au tac de l’intéressé : « Celui qui a travaillé pour Hitler, c’est ton patron ! », allusion à l’engagement de Marchais dans les usines Messerschmitt pendant la Seconde Guerre mondiale, avant même la création du service du travail obligatoire (STO).
En 1975, Houdin plaque la politique pour retourner à Abidjan. Il y effectue son service national au titre de la coopération à la Caisse autonome des amortissements, une structure publique, puis en deviendra conseiller. Il rencontrera alors Henri Konan Bédié, ministre de l’Economie et des Finances, dont il dresse un portrait peu flatteur dans son livre. De retour en France dans les années 1980, il dirigera des société de construction et promotion immobilière avant de répartir en Côte d’Ivoire pour y travailler dans la téléphonie mobile GSM.
En 1995, il fait la connaissance d’Hamed Bassam Traoré, un jeune entrepreneur et étoile montante du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, dont il va devenir le conseiller économique, notamment pour sa société de ramassage d’ordures ménagères à Abidjan. Fin 1998, Bassam lui confie un autre projet, une centrale électrique à construire à Banjul, en Gambie. Il paraphe le contrat définitif entre la société ivoirienne et l’Etat gambien représenté par sa ministre de la Justice, Fatou Bensouda. Houdin ne s’imagine pas alors qu’il la retrouvera, quinze ans plus tard, comme procureur de la CPI, en charge du dossier d’accusation contre Laurent Gbagbo.
La crise post-électorale a fait plus de 3000 morts et le Président déchu, en tant que chef des armées, est tenu responsable des exactions commises, notamment par la Garde républicaine, restée jusqu’au bout fidèle au régime. «Gbagbo était attaqué et la République devait se défendre», justifie Houdin.
Le Français n’est pas un ami historique du président ivoirien comme Guy Labertit, ancien Mr Afrique du Parti socialiste, ou Albert Bourgi, professeur de droit public. Il l’a rencontré, une première fois, en juin 1997, dans un avion d’Air Afrique en partance pour New York. Les deux hommes ont échangé quelques mots, et se retrouvent à un mariage d’un ami commun, trois ans plus tard. En 2005, il accompagne un journaliste, Philippe Duval, qui prépare un reportage sur la crise ivoirienne à la présidence. A l’issue de l’audience, Gbagbo lui confie : «Nous sommes appelés à nous revoir…». Deux ans plus tard, inquiété par l’insalubrité persistante de la métropole, il lui commande un rapport avant de le recruter, comme conseiller spécial pour la salubrité urbaine. Cela marque le début d’une collaboration où le conseiller fera preuve d’une fidélité sans faille. Pourfendeur de l’extrême gauche dans sa jeunesse, il sera rapidement séduit par le socialiste Gbagbo dont il partage l’aversion pour « l’irrespect tant vis-à-vis des hommes que des lois ».
Laurent Gbagbo rappelle souvent, devant ses visiteurs à Scheveningen, «c’est un ivoirien d’origine». S’auto qualifiant d’ «antibounty » [Ndlr, ces Noirs qui sont blancs «à l’intérieur»], Houdin règle pas mal de comptes dans son ouvrage et fait des révélations sur l’origine de l’ex président Bédié, la nationalité controversée d’Alassane Ouattara, la fortune de son épouse Dominique, le rôle joué par Chirac et Sarkozy dans la chute de Gbagbo. On y croise, au fil des pages et des anecdotes, les amis des deux anciens présidents français, les personnages politiques ivoiriens, les militaires de l’Hexagone en opération en Côte d’Ivoire. Gbagbo y est présenté en démocrate modèle quand les époux Ouattara sont responsables de tous les maux du pays. Une vision partisane qui ne manquera pas de susciter une avalanche de commentaires des fidèles d’Alassane Ouattara. « Je ne crains pas les attaques, conclut le confident de Gbagbo. Je garde toutes preuves de ce que j’avance».
(*): Episode raconté dans Le Pen, une histoire française par Philippe Cohen et Pierre Péan, Robert Laffont.