Omar Victor Diop, photographe dakarois de 35 ans, poursuit son ascension dans le monde de l’art. Il a donné une suite à sa nouvelle série, intitulée Diaspora : des autoportraits en personnages de notables noirs ressurgis du passé et affublés d’accessoires de football. De nouvelles images ont été présentées en juin à Arles et devraient de nouveau faire parler d’elles en novembre, lors de la prochaine édition de Paris Photo.
Formé à l’Ecole supérieure de commerce de Paris, ce jeune Dakarois est entré fin 2014 en orbite dans le monde de l’art, trois ans à peine après avoir décidé de quitter son emploi à la communication de British American Tobacco (BAT) en Afrique. Depuis sa première exposition en 2011, aux Rencontres africaines de la photographie à Bamako, Omar Victor Diop se consacre à temps plein à sa passion.
Ses premières séries de portraits, à la fois inspirés par la mode et la tradition de la pose en studio en Afrique de l’Ouest, lui ont valu une reconnaissance immédiate. Il a fait notamment la Une d’un hors série de Courrier International en 2013, avec un portrait d’un jeune Dakarois comme lui, tiré d’une série sur les jeunes de sa ville actifs dans la culture, la mode ou les médias.
Réécrire l’histoire d’un passé commun
Sa dernière série, Diaspora, lui fait franchir un nouveau cap. Cette suite d’autoportraits est inspirée par des figures de Noirs méconnus, mais pourtant bien présents dans la peinture européenne – espagnole notamment. Pour réaliser ces clichés, il revêt lui-même les habits de ces Noirs devenus des personnalités du temps de l’esclavage et des colonies.
« Lors d’une résidence à Malaga, en Espagne, raconte-t-il, je me suis plongé dans la peinture de Velasquez, entre autres. J’y ai trouvé des voyageurs noirs qui sont partis du statut d’étranger pour arriver à celui de notable en Europe, à des époques très peu propices à leur épanouissement – les colonies et la traite. Tous ces personnages devraient être illustres, mais ne le sont justement pas. »
Le plus emblématique est sans doute celui de Jean-Baptiste Belley (1746-1845), né au Sénégal, vendu en tant qu’esclave dans les Antilles. « Cet homme a racheté sa liberté au prix de sacrifices qu’on ne peut pas imaginer aujourd’hui, poursuit Omar Victor Diop. Il s’est retrouvé en France en pleine Révolution, membre de la Convention puis du Conseil des Cinq-Cents. »
En ressuscitant ces personnalités oubliées, il cherche à « faire entrer les Africains dans la narration plus complète d’un passé commun, sans tous ces chapitres éludés, volontairement ou non, par les livres d’histoire ». Omar Victor Diop le fait avec un peu de fantaisie et d’humour, et non dans un esprit de « nostalgie militante », souligne-t-il.
Un clin d’oeil au présent, via le football
Son propos comme son style font mouche. Représenté en novembre 2014 à Paris Photo par la galerie André Magnin, il a vendu comme des petits pains les tirages limités de sa première série de douze images. Au Grand Palais, il a cumulé un nombre impressionnant de points rouges – ces marques qui correspondent à des intentions d’achat.
Parmi ses acquéreurs, un certain Lilian Thuram, touché par son discours politique. Comme pour dédramatiser, ses personnages tout droit sortis des XVIIe et XVIIIe siècles portent dans ses photos des accessoires de football…
Explications de l’artiste : « En faisant porter à chacun des personnages des objets liés au football, ballon, carton rouge ou crampons, je les ai rattachés au présent, pour les inscrire dans le débat sur l’immigration et l’insertion des étrangers dans les sociétés européennes. Tous ces illustres inconnus sont les premiers à avoir fait reconnaître l’homme noir comme doué de capacités exceptionnelles. Aujourd’hui, c’est le football qui sert de passeport. »
Lors des rencontres photographiques d’Arles, en juin dernier, il a été le seul Africain nominé dans le cadre du prix Découvertes. A cette occasion, il a sorti six nouveaux autoportraits de la série Diaspora, élargissant ses recherches à l’Inde et les Amériques du Nord et du Sud. Il y incarne l’écrivain et homme politique américain Frederik Douglass, ou encore Malick Ambar, un Ethiopien devenu Premier ministre d’un sultan en Inde au XIVe siècle.
Projet de résidence à Madagascar
L’une de ses images a servi d’affiche à la dernière conférence de l’Université de New York sur le thème des « Portraits noirs », à Florence en mai. Omar Victor Diop sera à Madagascar en septembre, à l’invitation de l’artiste malgache Joël Andrianomearisoa – un proche de la Revue Noire, à Paris. Il y fera une courte résidence, dans le cadre du projet « Parlez-moi », soutenu par l’Institut français à Antananarivo.
Ensuite, il reviendra sur les rives de la Seine pour Photoquai, la biennale organisée par le musée du Quai Branly, à partir du 21 septembre, avant de prendre la direction de l’Aquitaine et de la Grande-Bretagne, pour des foires d’art contemporain.
Dans ce tourbillon, Omar Victor Diop ne perd pas le nord. La tête sur les épaules, il trace sa route et garde le cap. D’un naturel à la fois posé et modeste, il parle volontiers de ses images, qui ne sont pas toujours comprises et peuvent faire des envieux dans le monde de l’art.
« L’oubli dans lequel sont tombées toutes ces personnalités au parcours remarquable est le dénominateur commun de la série, explique-t-il. Quand je l’ai commencée à Malaga, il était moins facile qu’à Dakar de trouver des modèles pour poser, ce qui m’a donné le courage de faire des autoportraits. Une décision qui ne vient pas facilement. On a toujours peur d’être pris pour un mégalomane ! »
Alors que certains, parmi les critiques d’art africains, lui reprochent de copier les autoportraits du photographe camerounais Samuel Fosso, d’autres rappellent à toutes fins utiles, comme le commissaire d’exposition Simon Njami, que « Samuel Fosso n’a ni inventé l’autoportrait, ni conservé son monopole ».